“Sherpa“… ce mot vous évoque probablement des souvenirs, que ce soit lors de la réalisation d’un voyage au Népal ou tout simplement lors de la lecture des célèbres aventures de Tintin au Tibet ? Aujourd’hui, ce mot s’est banalisé dans notre langage, et désigne communément les porteurs népalais, capables de transporter sur leur dos des charges impressionnantes (et parfois improbables !) tout en gravissant des montagnes avec un équipement de fortune. Mais qui sont vraiment les Sherpas, quelles sont les origines de ce peuple et comment ont-il évolué dans la société népalaise actuelle ?
Les origines du mot “sherpa”
Le mot “sherpa”, d’origine Tibétaine, signifie “peuple venant de l’Est”. En effet, “shar” signifie Est et “pa” désigne le peuple. Originaires du Kham, une province située dans le sud-est du Tibet, les Sherpas sont arrivés au Népal vers le milieu du XVIe siècle et ils se sont installés dans la région de l’Everest (à Namche Bazar notamment). Aujourd’hui, les Sherpas habitent une zone beaucoup plus vaste, située à la frontière avec le Tibet et ils sont également nombreux à Katmandou et Pokhara, en raison de la proximité avec les montagnes et de l’affluence de touristes venus du monde entier pour pratiquer le trekking au Népal. La plupart du temps, ils vivent dans des conditions parmi les plus rudes au monde, compte tenu du climat extrème et de l’altitude. Le relief des montagnes étant très accidenté, il n’y a pas de route pour relier les villages entre eux, si bien que les Sherpas doivent marcher pour se déplacer et le transport des marchandises est souvent réalisé à dos d’hommes ou à l’aide des animaux.
Mode de vie des Sherpas, “caste ou pas caste ?”
L’organisation sociale de la société Sherpa est basée sur le clan. On en dénombre une vingtaine qui possèdent chacun leurs règles de différenciation sociale, les clans les plus anciens occupant une position supérieure dans l’échelle sociale. Ce système de clan ressemble un peu à celui des castes dans la religion hindoue, même s’il est moins rigide. Par exemple, les immigrants d’origine tibétaine forment un “sous-clan”, considéré comme impur. Ainsi les membres de ce clan exercent souvent des métiers qui sont interdits aux Sherpas (forgeron ou boucher par exemple). Cependant, ce système de clan tend à s’atténuer dans la société actuelle, le niveau de richesse devenant le critère de différenciation principal…
Par ailleurs, la famille constitue un des éléments fondamentaux de la société Sherpa. Dans la famille Sherpa traditionnelle, la “sherpani” (femme Sherpa) demeure assujettie à son époux, mais elle bénéficie toutefois d’un meilleur statut que les femmes népalaises en général. La Sherpani exerce souvent un rôle majeur au sein du foyer : elle s’occupe des tâches ménagères, de l’éducation des enfants, gère les dépenses du foyer et travaille aux champs pendant que son mari s’absente pour accompagner les expéditions de trekking. Malgré l’existence d’écoles et de collèges, la fréquentation des établissements scolaires ne semble pas être une priorité dans la mesure où de nombreuses familles, accaparées par la lourdeur des tâches quotidiennes, n’ont d’autres choix que de mettre leurs enfants à contribution…
Religion – la présence du sacré dans la tradition Sherpa
On ne peut parler des Sherpas sans aborder leur religion, ou plutôt leur ferveur religieuse, tellement leur quotidien en est imprégné. Les Sherpas pratiquent une forme de bouddhisme qui se caractérise par de nombreuses divinités et par un ensemble de rituels, il comporte également de nombreuses superstitions et la croyance en un monde d’esprits malveillants, d’où le recours à des pratiques chamaniques ayant notamment pour but d’amadouer les mauvais esprits, cause de maladie et de mauvaise fortune.
Pour les Sherpas, la récitation répétitive de mantras permet d’accumuler des mérites. Aussi, comme les Tibétains, ils ont recours aux drapeaux et moulins à prières qui, grâce au vent, à l’eau ou à une simple poussée de la main, libèrent vers le ciel les mantras sacrés qui y sont inscrits afin qu’ils parviennent jusqu’aux dieux. « Om Mani Padme Hum » est le mantra le plus sacré chez les Sherpas, il peut se traduire par « Salut à toi, ô joyau émanant de la fleur du Lotus », une référence au Bouddha… Il est d’ailleurs très courant d’entendre ce mantra lorsqu’on se ballade dans les ruelles de Katamndou et Pokhara.
Nous avions constaté cette ferveur religieuse lors de notre trek autour des Annapurnas, par la présence des chorten, mani, drapeaux et moulins à prières à l’entrée des villages, au sommet d’un col, ou tout simplement au bord d’un chemin. Les drapeaux de prière sont un des symboles les plus représentatifs de la croyance des sherpas : ces pièces d’étoffes de différentes couleurs comportent des prières que le vent transporte vers le ciel, selon la croyance populaire. Un autre symbole populaire est celui des murs “mani”, amoncellement de pierres plates gravées de prières qu’il suffit de contourner par la gauche pour ne pas indisposer les dieux locaux (et qui a causé quelques tourments au Capitaine Haddock !). Mais il en existe encore bien d’autres…
Activité – De l’agriculture aux métiers de la montagne
Avant l’arrivée des premiers alpinistes occidentaux au Népal, la conquête des hauts sommets himalayens, considérés comme “la demeure des dieux”, ne constituait pas une préoccupation pour les Sherpas… mais cette situation a bien changé aujourd’hui !
Traditionnellement, les Sherpas sont commerçants, agriculteurs et éleveurs. La plupart des familles possèdent quelques terres attenantes à leur maison. Toutefois, l’agriculture ne permettant pas de subvenir à la totalité de leurs besoins, les Sherpas font l’élevage du Yack, métier dont ils sont particulièrement fiers. Il est d’ailleurs assez courant de manger des steaks de Yack ou de déguster un délicieux morceau de fromage fabriqué à base de lait de Yack lors de la traversée des petits villages qui bordent les itinéraires de trekking (véritable récompense après une bonne journée de marche !).
Par la suite, l’accroissement du tourisme a permis à de nombreux Sherpas d’améliorer leur situation en s’engageant comme guide ou porteur d’altitude au sein des expéditions d’alpinisme et de trekking, qui amènent chaque année au printemps et à l’automne, des milliers de sportifs à la conquête des sentiers de haute-montagne. Ainsi, les familles Sherpas ont converti leurs maisons en lodge sur les itinéraires de trekking afin de pouvoir accueillir les trekkeurs pour la nuit et leur servir un repas. De nombreux paysans Sherpas ont donc abandonné leurs terres pour se reconvertir en guides de trekking, porteurs, hôtelliers, commerçants, restaurateurs ou encore proprétaires d’agences de trekking et c’est ainsi que le tourisme est devenu une véritable industrie au Népal.
Les conditions de travail des porteurs, là où le bât blesse…
Bien que les Sherpas soient réputés pour être particulièrement forts et résistants aux conditions extrèmes (exposés à une haute altitude depuis des générations, ils auraient développé des mécanismes physiologiques d’acclimatation et une capacité pulmonaire accrue), force est de constater que les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier sont parfois allarmantes. Equipement rudimentaire et inadapté, charges sur le dos pouvant atteindre facilement 50 à 60kg (alors que la charge maximale préconisée par le règlement ne doit pas dépasser 30kg), le tout pour un salaire ne dépassant pas 300 à 500 Roupies par jour (bien que celui-ci soit largement supérieur au revenu moyen au Népal), il n’est pas possible de nier l’exploitation dont ils font parfois l’objet.
Beaucoup de porteurs ne sont pas équipés convenablement pour travailler dans la neige et sur les glaciers. Ce sous-équipement de protection engendrent chez certains porteurs des problèmes ophtalmologiques sévères, des gelures aux pieds et aux mains, des hypothermies, sans oublier un manque de sensibilisation au mal des montagnes, autant de blessures qui faute de soins, peuvent handicaper les porteurs à vie. Sans travail, ils deviennent une charge supplémentaire pour des familles dont l’équilibre est déjà fragile.
Nous avions été choqué de voir la plupart des porteurs chargés comme des mules, qui portaient facilement deux backpacks chargés à ras-bord, en plus de leurs affaires personnelles, et chaussés uniquement d’une paire de sandales tandis que leurs touristes se promenaient tranquilement avec un petit sac sur le dos, leur équipement technique dernier cri et un appareil photo autour du cou. Lorsque nous tentions d’aborder le sujet avec ces touristes, le principal argument qui ressortait était “que c’était grâce au travail et à l’argent apporté par le tourisme que les porteurs pouvaient vivre…”. Cet argument, nous l’avons entendu à plusieurs reprises, sauf que pour nous, il ne faisait qu’éviter le problème derrière une satisfaction morale de pouvoir donner du travail alors qu’en réalité, il s’agit bien d’un cas de conscience et d’une atteinte à la dignité des porteurs.
Avant notre voyage au Népal, nous n’avions pas vraiment conscience de cette situation et de retour en France, nous avons tenté de nous documenter sur la question, et nous nous sommes rendus compte qu’il commençait à y avoir une prise de conscience de cette situation grâce à des associations qui revendiquent de meilleures conditions de travail pour les porteurs. Aujourd’hui, ces associations de défense des droits de porteurs existent à Katmandou et aident les porteurs à différents niveaux (cours gratuits de langues étrangères, de secourisme, mise à disposition d’un équipement de haute montagne, etc.) permettant de réaliser des progrès visibles au fil des ans. Il existe également un groupe international pour la protection des porteurs, dont le site internet regroupe pas mal d’informations sur la question.
Le conseil que nous pourrions donner aux voyageurs qui souhaiteraient avoir recours aux services d’un porteur est de bien se renseigner auprès de l’agence de trekking sur les conditions de travail des porteurs qu’ils engagent :
– Le porteur doit-il subvenir lui-même à ses frais de logements et de nourriture, ou ces frais sont-ils pris en charge par l’agence ?
– Combien de kg les porteurs doivent-ils transporter ?
– Possèdent-ils un équipement adapté (vêtements pour le froid, chaussures de montagne et lunettes de soleil,…) ?
– Combien sont-ils rémunérés (même s’il est probable que sur ce point, l’agence ne vous réponde pas avec franchise…)?
Par ailleurs, ne cherchez pas à négocier le prix trop à la baisse, car cela risque notamment de se répercuter sur la rémunération des porteurs… Et les agences les moins chères sont aussi, parfois, les moins regardantes sur la sécurité de leurs porteurs.
Une culture en voie de disparition ?
L’accroissement de l’activité touristique a eu certes un effet positif sur l’économie locale, mais il a également secoué certains fondements de la société Sherpa. Sur les principaux itinéraires de trekking au Népal, force est de constater que la société traditionnelle Sherpa est de plus en plus influencée par les besoins indus par la société de consommation moderne mais aussi par le niveau d’exigence apporté par le touriste.
De nombreux jeunes délaissent leur village et les activités pastorales pour se rapprocher des centres touristiques tels que Katmandou et Pokhara, afin de trouver du travail en tant que guide ou porteur dans les agences de trekking. Installés dans la capitale avec femme et enfants, plusieurs y ont trouvé la vie plus facile. D’un coté, cela est favorable au développement économique de la société Sherpa mais d’un autre coté, cette question est préoccupante pour les générations futures car l’exposition de la société Sherpa aux valeurs occidentales transforment ses modes de vie et tend à faire disparaître les valeurs traditionnelles et ancestrales de cette communauté.
Des spécialistes du sujet s’accordent à dire que malgré des signes extérieurs montrant que dans les villages situés près des grands itinéraires de trekking, bon nombre de Sherpas adoptent certaines modes occidentales en matière d’habillement et de consommation notamment, ils demeurent malgré tout d’authentiques Sherpas profondément attachés à leur religion et aux valeurs bouddhistes sur lesquelles s’appuie leur culture.
Ce que nous en pensons, c’est qu’il est important d’avoir conscience de ces conditions et de ne pas fermer les yeux sur ces problèmes avant de se lancer dans un trek au Népal mais la réalisation d’un trek reste malgré tout une aventure incroyable et une épreuve physique largement récompensée par la majestuosité des montagnes, ces sommets enneigés qui culminent parfois à plus de 8000m et qui se dressent devant vous telles des barrières naturelles infranchissables. Mais c’est aussi le sourire des enfants qui vous lancent des “Namaste !” (bonjour!) sur votre passage, l’accueil chaleureux et le visage lumineux des népalais, ces petits villages isolés qu’on traverse et qui semblent coupés du monde, ces cours d’eau, ces rizières, ces vallées et ces montées abruptes qui n’en finissent plus mais qui réservent toujours de merveilleuses surprises…
Sources :
Le Monde.fr : “la belle saison des trecks au Népal”
Zone Himalaya : le peuple Sherpa au Népal
UNESCO : les héros du mont Everest met les Sherpas à l’école
IPPG : International Group for Porters Protection
Himalayan Trust : ONG fondée par Edmund Hillary